03/04/2023 10:04
Les conclusions de la Convention citoyenne sur la fin de vie sont sans appel : l’accès aux soins palliatifs est encore inégal en France, particulièrement dans les déserts médicaux. Des médecins et une proche aidante témoignent. En France, seulement 30 % des personnes qui en ont besoin ont accès aux soins palliatifs. Par Aïda Djoupa
« Je n’aurais jamais pu imaginer les difficultés que j’allais rencontrer », soupire Laetitia, en commençant le récit de la fin de vie de sa mère. Il débute en 2018, avec un rendez-vous flou chez l’oncologue qui la suivait jusqu’ici. « Il nous a parlé d’un délai de six à neuf mois, sans jamais être très clair. C’est ma sœur et moi qui avons dû annoncer à notre mère qu’elle allait mourir. »
Après l’annonce vient le temps de l’arrêt du traitement curatif et du passage aux soins palliatifs. Laëtitia accueille sa mère chez elle, dans une zone montagneuse de Corrèze, un département rural qui compte moins de 300 généralistes pour plus de 240 000 habitants. Commence alors un parcours semé d’embûches, représentatif des inégalités d’accès aux soins palliatifs soulignées par les conclusions de la Convention citoyenne, rendues ce dimanche 2 avril.
« Je me suis retrouvée très seule, sans accompagnement »
Laëtitia est responsable qualité dans un hôpital de proximité, son conjoint est médecin généraliste. Ils pensent être armés pour gérer cette situation, pourtant, les premières difficultés arrivent rapidement. D’abord, les délais d’attente entre les rendez-vous : « Pour accéder au traitement palliatif, il y avait déjà deux semaines d’attente. Je n’allais pas laisser ma mère sans rien pendant deux semaines, avec ses douleurs. »
La cinquantenaire raconte s’être retrouvée très seule. « Je ne savais ni quoi faire, ni qui contacter. Il n’y avait pas de réseau, pas de soutien, pas d’aide. On ne me parlait que de médical, rarement d’humain, ça n’avait rien à voir avec le concept de soins palliatifs. » Garantis depuis 1999, ils sont en effet définis par la loi comme « des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile [qui] visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. »
Dans les déserts médicaux, l’accès aux soins se dégrade
« Quand j’exerçais comme médecin en soins palliatifs dans l’Aude, nous étions cinq en activité. Quand je suis parti à la retraite, ils n’étaient plus que deux », explique Henri-Pierre Cornu, président de l’association pour le développement des soins palliatifs de l’Aude. « Les équipes mobiles font ce qu’elles peuvent, mais ce n’est pas possible de gérer seules un territoire aussi grand. » Le retraité l’observe sur son territoire : l’accès aux soins palliatifs se dégrade. Les bénévoles de son association sont contactés de plus en plus régulièrement par « des gens paumés, qui ne savent pas à qui s’adresser ou comment faire pour obtenir des soins palliatifs. »
À cela s’ajoutent le manque de médecins généralistes et la tension grandissante sur leur charge de travail. Thierry Praud, président de l’association Pierre Clément, qui accompagne des personnes gravement malades ou en fin de vie, le rappelle : « Après une hospitalisation, un diagnostic, le médecin généraliste, c’est le pivot du soin. Mais pour ça, il faut avoir un médecin généraliste, et qu’il soit formé aux soins palliatifs… Or, la connaissance des soins palliatifs est encore trop partielle en France. Je suis convaincu qu’il y a encore des tas de gens qui meurent dans des conditions mauvaises ou très douloureuses à domicile ou à l’hôpital. »
Un constat que confirme un rapport du Sénat de 2021, selon lequel seulement 30 % des personnes qui en auraient besoin accèdent aux soins palliatifs en France.
La coordination des soins, parcours du combattant des aidants
Après quelques semaines dans un des quatre lits identifiés en soins palliatifs du service de médecine polyvalente de l’hôpital de proximité, la mère de Laëtitia rentre à domicile avec un traitement adapté. La famille reste soudée et présente auprès d’elle mais rapidement, Laetitia commence à sentir ses limites en tant qu’aidante. « On a un quotidien à gérer, et une personne qui n’est pas autonome à la maison. Comment on fait ? Dans nos territoires, il n’y a pas beaucoup de professionnels aux alentours, et il faut faire beaucoup de démarches. Pour trouver une infirmière et des aides, il a fallu deux mois. »
Pour recevoir des soins palliatifs propres à son cancer, la mère de Laëtitia fait deux allers-retours par semaine dans un service d’oncologie à Clermont-Ferrand, à une heure trente de route. Un rythme épuisant, qui amène à la décision de l’hospitaliser dans la ville.
Laëtitia et sa sœur posent des congés, font des allers-retours, dorment à l’hôtel et profitent de leur mère autant que possible pendant les heures de visites autorisées. Elles s’inquiètent de voir son consentement si peu pris en compte dans les soins dispensés. « Certains soins invasifs ont fonctionné et lui ont permis de moins souffrir. Mais on était parfois loin du soin palliatif qui met le patient au cœur du processus : les soignants insistaient pour lui mettre un corset qui lui faisait très mal, elle refusait, ils insistaient. Moi, je répétais ‘Il ne lui reste que peu de temps à vivre, arrêtez d’essayer de la forcer à porter ce truc qui lui fait mal’ C’était très dur. »
« Il ne faut pas invisibiliser ce qui se passe en dehors de l’hôpital »
Le traitement terminé, sa mère quitte le service d’oncologie et est à nouveau hospitalisée près de chez Laëtitia, cette fois-ci dans un service de soins, de suite et de réadaptation. C’est cette hospitalisation qui va lui permettre, à son retour chez sa fille, d’accéder enfin à un accompagnement coordonné de soins palliatifs à domicile, parce que le service en question dispose d’une assistante sociale pour le mettre en place. « Après tous ces mois difficiles, c’était formidable. Pendant les deux ou trois mois suivants, on a réussi à gérer la douleur, elle était très entourée, et elle avait enfin du confort. »
C’est ce genre de configuration que connaît le mieux David Beausire, médecin praticien d’hospitalisation à domicile dans une zone peu pourvue en médecins. Pour lui, concentrer le discours sur l’accès aux soins palliatifs sur l’hôpital, c’est oublier une grande partie des acteurs territoriaux qui accompagnent des malades, en fin de vie ou non.
« Il y a un grand flou en France autour de la prise en charge de la fin de vie. Ce qui est cadré et organisé, c’est surtout ce qui se passe en milieu hospitalier, et on a un peu oublié ce qui se faisait autour. Pourtant, on voit bien que la majorité des personnes en situation palliative et/ou en fin de vie échappent à ce dispositif hospitalier, soit parce qu’il n’existe pas à proximité, soit parce qu’il n’y a pas assez de lits, ou parce qu’on n’a pas pensé à les orienter sur ces structures. Par ailleurs, l’hôpital n’est pas l’idéal pour tout le monde, ça dépend des situations. » 40 % des patients de son antenne n’ont pas de médecin traitant déclaré, mais les soignants font avec leurs compétences, parfois aussi avec les moyens du bord. « Il ne faut pas invisibiliser notre travail » conclut-il.
« Comment font les personnes isolées, qui n’ont pas leurs proches ? »
L’isolement ressenti au moment des soins palliatifs ne semble toutefois pas être propre aux seuls déserts médicaux. Le parcours difficile de la fin de vie de la mère de Laëtitia ne s’est pas conclu en Corrèze. Originaire de Bordeaux, elle a voulu retourner dans sa ville pour y finir ses jours. Là aussi, l’accès aux soins est épineux, la prise en charge médicale défaillante. Laëtitia et sa sœur vivent cette période comme un véritable traumatisme, avant d’enfin trouver une maison de santé spécialisée en soins palliatifs, où leur mère pourra s’éteindre dans de bonnes conditions.
Aujourd’hui, Laëtitia s’est formée aux soins palliatifs et milite pour que personne n’ait à traverser le même parcours que sa mère pour accéder à des soins de qualité. « Dans les milieux ruraux, on manque parfois de soutien : il n’y a pas beaucoup de psychologues ou de soignants, les hôpitaux publics sont surchargés, il n’y a pas beaucoup d’associations… Moi, j’ai réussi à m’en sortir parce que je connais ce milieu, mais comment font les personnes isolées, qui n’ont pas leurs proches ? Les personnes qui ne connaissent pas le médical, ou les personnes qui n’ont pas les moyens physiques ou financiers de déployer toute cette énergie ? » Le 29 juin prochain, elle organisera une journée dédiée aux soins palliatifs en collaboration avec l’hôpital où elle exerce et des associations de Corrèze.