La dignité : une valeur intangible pour toute personne humaine
L’ASPEC 14, avec le soutien de l’Espace de Réflexion Éthique Régional de Basse-Normandie, a proposé une journée “grand public” le samedi 29 novembre dernier (14 h à 17 h) à l’Auditorium du Musée des Beaux-Arts de Caen.
La conférence-débat de la journée abordait le thème ” Éthique et fin de vie ” sous un double regard :
- un regard juridique “Loi et Fin de vie” avec comme intervenante Aurore Catherine-Leprovaux, Docteur en droit public, spécialiste en droit de la santé…
- un regard philosophique “Éthique et Dignité” éclairé par Jacques Ricot, philosophe, chargé de cours de bioéthique.
Loi et fin de vie
Aurore CATHERINE-LEPROVAUX, docteur en droit, spécialiste en droit de la santé.
Quelques rappels :
- Loi KOUCHNER du 4 mars 2002 : Permet à chacun de participer au système de santé. La loi a ré uniformisé la jurisprudence. Réaffirme et modifie les droits du patient en lui permettant d’être acteur de sa santé.
- La Loi LÉONETTI vient compléter la loi Kouchner en 2005 : 1) renforce les droits du malade et protège les médecins d’un risque de poursuites juridiques, donne une définition de la fin de vie “phase avancée ou terminale due à une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause”. 2) importance de la volonté de l’individu – interdiction de l’acharnement thérapeutique. 3) refus de légaliser l’euthanasie en raison des risques de dérive. 4) la loi instaure le “laisser mourir” sans le “droit à mourir”. Elle prévoit les directives anticipées et la désignation d’une personne de confiance.
- Le rapport SICARD du 18/12/2012 a pointé la méconnaissance de la Loi Léonetti. Il prône le maintien de la législation actuelle et met en garde contre la tentation de légiférer pour autoriser l’euthanasie.
- Décret du 29/01/2010 autorisant la sédation : Après décision d’arrêt du traitement, le médecin met en œuvre un traitement antalgique et sédatif. Il n’y a pas intention de donner la mort mais de soulager. Lorsque les termes de la loi ont été respectés, le médecin ne peut être pénalement responsable. Dans ce cas, le corps médical est protégé.
Plusieurs propositions de lois sont en discussion sur :
- La création d’un droit à la sédation : terminer sa vie en dormant sans souffrance : sédation en phase terminale mais pas à but terminal. Renforcer les droits des patients en fin de vie. Rendre les directives anticipées opposables au médecin : elles ne seraient plus uniquement consultatives à condition que le médecin et le patient aient rédigé un projet de soins, visé par la personne de confiance.
- L’assistance médicalisée pour mourir (l’euthanasie) Proposition de loi du 05/06/2013 n°629 – ” Assistance médicalisée permettant par un acte délibéré une mort rapide et sans douleur “.
- Le suicide médicalement assisté .La proposition de loi du 13/06/2013 vise à assurer au patient en fin de vie à mourir dans la dignité. Ne pas se contenter de laisser mourir mais donner une ” aide active à mourir “. Avec création d’une commission régionale de contrôle à qui le médecin doit adresser dans les 8 jours du décès un rapport
- La proposition de loi du 2/12/2013 relative au choix libre et éclairé d’une assistance médicalisée pour une fin de vie digne
Avis du Comité Consultatif National d’Éthique :
La frontière est tenue entre le ” laisser mourir ” et le ” faire mourir ” et nécessité de progresser sur la connaissance et l’application de la loi Léonetti.
Le Comité Consultatif National d’Ethique expose des séries d’amélioration :
- Instaurer un processus de délibération collective entre patient, personne de confiance et professionnels non médicaux
- Rendre les directives anticipées opposables (jusqu’à présent, seul le médecin prend la décision)
- Repenser la vocation et les valeurs des soins palliatifs (il n’y a pas de valeur obligatoire, attention à l’urgence, à l’inadaptation des soins)
- Réévaluer la pratique de la sédation par la mise en œuvre d’une délibération collective préalablement à toute décision de sédation. La sédation continue serait possible dans les cas suivants : jusqu’au décès pour les personnes qui l’expriment, également pour celles qui sont incapables d’exprimer leur volonté et pour les personnes atteintes d’une maladie incurable mais qui ne sont pas en phase terminale, conscientes ou non et chez qui les traitements vitaux sont interrompus. Elle n’est pas nécessaire en dehors de tout symptôme réfractaire.
Christine
Éthique et dignité
Jacques Ricot dans son intervention nous a rappelé que le terme « dignité » est dangereusement équivoque et utilisé souvent à tort et à travers.
Ce mot apparaît à partir de l’indignation provoquée par les théories nazies de la race supérieure. Il y aurait une infrahumanité qui ne mérite pas de vivre. En réaction, la Déclaration universelle des Droits de l’homme en 1948 considère en préambule : « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables… »
Il y a trois usages du mot « dignité ». Ils ne doivent pas être confondus, le glissement sémantique entraînant la confusion de différents concepts.
- La dignité est attachée à l’Homme, « elle tient à son humanité même » CCNE. Elle ne se démontre pas, c’est un axiome. Elle est ontologique, intrinsèque à l’être. Elle ne peut se perdre et ne dépend nullement du regard que je porte sur moi-même ou du regard de l’autre. C’est une valeur inaliénable, intangible.
- La dignité fait aussi référence à une dignité-décence en relation avec le comportement. C’est le fait d’être plus ou moins en conformité avec les normes admises par la société. Il y a une graduation : la personne est plus ou moins digne selon son apparence physique, son attitude, ses capacités à faire face aux difficultés. Le jugement s’établit sur « ce que je pense de moi » et « ce que je reçois du regard de l’autre ».
- La dignité confondue avec la liberté. Les défenseurs de « Mourir dans la dignité » mettent en avant ce sens. Il serait d’ailleurs plus juste de dire « Mourir dans la liberté ». Mais dignité et liberté sont-elles équivalentes ? Quand la dignité-liberté se réduit à être une convenance personnelle à disposer de soi, la dignité devient dépendante du regard qui juge la personne. Le sens ontologique s’efface.
Dans un ordre moral libéral-libertaire la liberté n’a plus de limite. La montée de l’individualisme finit par nier la qualité du lien. La dignité intouchable de l’être humain est au contraire un garde-fou et établit la nécessaire alliance entre le soignant et le soigné, entre la personne vulnérable et son entourage.
Brigitte