“Plan 75”, un film “déchirant” sur le vieillissement de la population japonaise et l’euthanasie pour limiter le nombre de citoyens inutiles… Dans “Plan 75”, son premier long-métrage, la cinéaste Chie Hayakawa imagine un avenir proche et inquiétant, dans lequel le Japon réglerait de façon radicale la question démographique. Primé à Cannes, son film est sortI ce 7 septembre en France. Voici ce qu’en a pensé la presse nippone.
C’est une “plongée glaçante dans un avenir sans cœur”, commente le Japan Times. Dans son premier long-métrage, Plan 75, Chie Hayakawa, 46 ans, imagine un avenir certes dystopique, mais présenté comme imminent, et qui renvoie le spectateur à des problématiques très contemporaines. Dans un Japon vieillissant, la prise en charge des seniors n’en finit pas de peser sur le budget de l’État. Le gouvernement décide donc de lancer un dispositif appelé “Plan 75”, lequel permet aux plus de 75 ans de se faire euthanasier s’ils le souhaitent, pour ne plus être un “fardeau” pour la société.
Michi Kakutani, 78 ans (incarnée par Chieko Baisho, une star du cinéma populaire japonais), fait partie des personnages visés par le programme. Veuve, elle perd un petit boulot qui lui permettait de payer son loyer, voit son cercle d’amies s’éclaircir… En parfaite santé mais économiquement et socialement vulnérable, elle commence à envisager l’inenvisageable.
Les enjeux de l’an 2025
Projeté au dernier Festival de Cannes, dans la section Un certain regard, Plan 75 a obtenu une mention spéciale de la part du jury de la Caméra d’or. Sorti dans la foulée au Japon, le 17 juin dernier, ce film bouleversant, illuminé par la grâce frêle de Chieko Baisho, a marqué la presse locale. “ En 2025, année où la génération des baby-boomers nés entre 1947 et 1949 aura 75 ans et plus, la part de personnes de cette tranche d’âge dans la population va s’élever à 20 %. Les enjeux de l’an 2025 sont notre problème à tous et, dans ce contexte, le film Plan 75 impose une réalité déchirante qui ne nous est malheureusement pas entièrement étrangère “, écrit Tomohiro Mibu, critique de cinéma, pour le site Toyo Keizai.
Quant à Ritsuko Inokuma, éditorialiste du quotidien national Yomiuri Shimbun, qui a longtemps couvert les sujets de société dont traite Chie Hayakawa, elle est allée jusqu’à publier un long article pour faire part des “désarrois” qu’elle avait éprouvés en découvrant le film. La situation de Michi lui a rappelé la crise des subprimes à Tokyo, qui avait obligé des centaines de travailleurs précaires à passer l’hiver 2008 dans le parc de Hibiya. Le même scénario s’est répété une décennie plus tard, lors de la pandémie de Covid-19. “ Le nombre de demandes d’aides au logement a connu un pic fulgurant. Je n’en reviens pas de constater que la protection sociale en matière de logement pour les plus précaires est restée à ce point insuffisante “, écrit-elle, scandalisée.
Un choix de société avant tout
Selon Ritsuko Inokuma, le dispositif “Plan 75” reflète bien l’accroissement des inégalités dans la société japonaise contemporaine. Dans le film, les seniors qui acceptent de se faire euthanasier reçoivent en contrepartie une allocation de 100 000 yens (733 euros), qu’ils peuvent dépenser comme ils le souhaitent, ou léguer à des proches. ” J’ai du mal à imaginer des personnes fortunées, pour lesquelles la retraite se déroule sans souci […], se sacrifier pour une somme si dérisoire. Il s’agit d’un ‘choix’ qui ne l’est pas dans la réalité, auquel les plus démunis sont contraints de manière injuste.” Le film suscite donc chez la journaliste un sentiment mêlé d’indignation et d’impuissance : ” Je couvre ces sujets depuis longtemps, mais mon travail a-t-il été suffisant, en définitive ? ” s’interroge-t-elle.
Dans une interview qu’elle a accordée au site Cinra, Chie Hayakawa raconte que c’est sa colère face à l’indifférence de la société japonaise à l’égard des plus démunis qui l’a décidée à réaliser Plan 75. La rhétorique du jiko-sekinin (“responsabilité individuelle”), de plus en plus répandue au Japon, considère que les indigents, plus que la société et son fonctionnement, sont responsables de leur sort. Signe du basculement du débat public, bien des seniors que la cinéaste a interviewés au moment d’écrire son scénario approuvaient l’idée d’introduire l’euthanasie pour les personnes âgées. “ Certains m’ont dit, dès le début de l’entretien, que ce serait bien de mettre en place le dispositif Plan 75 ”, raconte Hayakawa, sidérée.
” Ils veulent juste éviter de devenir un fardeau pour les autres. Au premier abord, c’est beau comme discours, mais il est tellement triste d’en arriver là, à accepter de mourir pour ne pas gêner les autres ! ”
Elle qui n’en finit pas de condamner le discours du jiko-sekinin, qui façonne selon elle l’insensibilité des Japonais à la souffrance des autres, espère tirer une sonnette d’alarme avec son long-métrage. “ Si nous devions trancher entre une société qui propose l’euthanasie comme choix de vie aux retraités et une société qui vient en aide aux seniors au nom du vivre-ensemble, nous devrions absolument opter pour la seconde, martèle-t-elle. Or j’ai l’impression que la société japonaise actuelle penche plutôt pour la première solution. Je pense que nous sommes sur une pente vraiment dangereuse. ”
Yuta Yagishita, cité par Courrier International