La loi Claeys-Leonetti, malade de la maladie de Charcot. – La dernière affaire judiciaire, où un vétérinaire a aidé à mourir son ami atteint de la maladie de Charcot, pointe les limites de la législation française, qui ne veut pas toujours donner le dernier mot au malade.
C’est une maladie terrible. La maladie de Charcot (ou SLA, sclérose latérale amyotrophique) est une pathologie neurologique dégénérative qui atteint tous les muscles, sans autre perspective que la mort par asphyxie si l’on ne fait rien. Souvent, nous le racontons, et des études le montrent, la loi française sur la fin de vie, dite Claeys-Leonetti, est sans voix. C’est l’impasse, et même parfois du grand n’importe quoi dans la prise en charge finale. Soit c’est l’arbitraire qui va prévaloir (selon le médecin qui le prend en charge) soit le malade a la chance d’avoir des réseaux pour l’aider à abréger sa fin de vie.
« Qu’est-ce qu’il aurait fallu faire ? »
Ces dernières semaines, de nombreux cas ont encore pointé les limites législatives actuelles. Le dernier en date est un vétérinaire qui a aidé son ami atteint de cette maladie à lui procurer des médicaments pour mettre un terme à sa vie. Poursuivi devant la justice «pour faux et usage de faux», ledit vétérinaire a bénéficié d’une relaxe le 4 mai. Mais, en fin de semaine dernière, le parquet d’Angers a interjeté appel de sa relaxe. À l’audience, le vétérinaire a expliqué avoir «d’abord refusé» de répondre à la demande de son ami avant de céder «face à sa détresse». Présente à l’audience, l’ancienne femme du malade ne s’était pas constituée partie civile, affirmant que celui-ci avait toujours dit qu’«il mettrait fin à ses jours avant que la maladie ne l’emprisonne dans son corps». L’homme avait ainsi tenté par trois fois de se suicider, notamment par noyade. Signe de sa volonté farouche, figurait, aux côtés de son testament, une feuille avec ces mots : «Surtout me laisser partir cette fois !» L’avocat du prévenu avait lâché à l’audience : «Qu’est-ce qu’il aurait fallu faire ? Le laisser à nouveau exposé à des souffrances ?»
Terrible situation où tout se termine mal. Valérie Mesnage, neurologue et chargée de recherches au Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), connaît parfaitement ces questions. Elle a coordonné un groupe de travail sur la fin de vie et la SLA, dont les conclusions ont été rendues publiques en novembre. Que constate-t-on ? La loi actuelle, dite Claeys-Leonetti, est apparemment claire : elle propose la possibilité d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès (SPCJD). Si une personne est atteinte d’une maladie incurable, supportant des souffrances que l’on n’arrive pas à soulager, elle peut demander cette sédation. Mais alors pourquoi, dans l’exemple d’Angers, le malade a-t-il eu besoin d’avoir recours à son ami vétérinaire pour avoir accès à des médicaments mortels ? « Dans le cas de la SLA, la gravité et l’incurabilité de la maladie sont une évidence, note le rapport du CNSPFV. L’objectif de la prise en charge est bien de soulager les souffrances du patient mais elle n’est pas d’accélérer intentionnellement la survenue du décès. Cependant, lorsque le patient présente des souffrances réfractaires ou demande une limitation ou un arrêt des traitements de suppléances vitales, cette demande de la part du patient (et des proches) d’accès aux soins d’accompagnement de la fin de vie intégrant la SPCJD peut s’opposer à la réticence d’équipes de soins à y répondre le moment voulu. »
« Lecture trop limitative »
L’ambiguïté est manifeste. Pour Valérie Mesnage, il y a deux types d’impasses, aujourd’hui, vis-à-vis de ces fins de vie dans la maladie de Charcot. Première interrogation : à partir de quand peut-on mettre en place une sédation ? Au dernier moment, mais quand ? Si la loi est ouverte, la Haute Autorité de santé a cru bon de publier des recommandations très limitatives, estimant que la sédation ne pouvait être entreprise que quelques jours avant le décès supposé. « Dans la pratique, note Valérie Mesnage, il existe beaucoup de situations qui pourraient être résolues si certaines équipes n’étaient pas arc-boutées sur une lecture trop limitative de la législation. Car la loi est beaucoup moins bornée qu’on ne l’entend. Pour autant, il y a une autre impasse. C’est lorsque le patient est atteint d’une souffrance existentielle ». Il ou elle ne veut alors plus vivre. La perte d’autonomie est pour lui trop forte, la dépendance trop élevée. Dans la maladie de Charcot, avant de perdre sa faculté respiratoire, le patient perd tout usage de ses muscles, cloué, immobile, sans voix. « Et là, des patients disent stop. Tout le monde le reconnaît, partisan ou non d’une fin plus active. Face à eux, face à leur demande qui renvoie à une souffrance existentielle, la loi n’apporte pas de réponse.» Dans une étude qualitative récente, effectuée sur un effectif limité de patients, il ressort clairement que leur demande est d’avoir leur mot à dire dans l’évolution de la maladie, et de pouvoir exprimer le moment où cela doit s’arrêter.
C’est évidemment durant ces moments-là que les conflits surgissent avec les équipes soignantes. Et que l’arbitraire prévaut. Soit vous avez la chance d’avoir un ami vétérinaire qui peut vous aider, voire la chance de tomber sur une équipe de soins palliatifs ouverte et tolérante. Soit le patient et ses proches vont devoir supporter des équipes qui ne veulent en aucun cas hâter la mort et mettent tout sur le compte d’une dépression temporaire du patient. Et c’est l’impasse. « Le cas de la maladie de Charcot est vraiment emblématique des limites actuelles de notre loi et de son interprétation », nous disait le professeur Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique. On va voir si l’avis que ce comité va rendre en juin sur la fin de vie aura le courage d’affronter la réalité des blocages actuels, avant que le Parlement décide ou non de modifier la loi.
par Éric Favereau, publié le 10 mai 2022 dans Libération – Chronique « Aux petits soins »