Ce monsieur que j’accompagne est en EHPAD, alors qu’il a à peine soixante ans. Il souffre de sclérose en plaques à un stade avancé. Il peut remuer la tête et parler tout à fait normalement. Le reste de son corps est presqu’entièrement paralysé. Ses mains se recroquevillent. Des rouleaux de mousse protègent ses paumes car, en poussant, ses ongles le blesseraient et occasionneraient une infection.
Il est très entouré par sa famille et par ses proches, ce qui ne l’empêche pas d’apprécier ma présence. Ce jour-là, je le découvre plus sombre que d’habitude. Il m’accueille par ses mots :
– J’en ai marre, Annie. J’en ai assez.
Bien sûr, je comprends ce qu’il ressent. Comment ne pas en avoir assez de vivre, dans son état, et sans perspective d’amélioration ? Comment faire pour l’aider ?
– Vous avez le droit d’en avoir marre et de le dire. Criez-le !
– J’EN AI MARRE !
Nous bavardons un moment mais je sens bien que le cœur n’y est pas. Alors, j’ose lui poser une question :
– Excusez-moi de vous le demander… Si je vous prends la main, vous sentirez quelque chose ?
– Mais oui. J’ai des sensations.
Je lui caresse longuement les mains, en silence, et il s’apaise quelque peu. Nous terminons la visite par des chansons. Il adore chanter !
Il est un peu mieux à mon départ qu’à mon arrivée et j’en suis contente. Néanmoins, je suis inquiète et j’en parle au personnel. J’apprends que sa femme aussi est inquiète.
J’appréhende ma visite suivante. À tort. Une chanteuse donne un concert dans la salle principale, devant une cinquantaine de personnes. Et il est là, lui aussi, qui aime tellement chanter. Il me voit de loin et son visage s’anime. Comme il lui est impossible de me faire un signe de la main, il agite la tête, souriant, heureux de me voir.
Annie